Ces témoignages sont l’expression d’un engagement personnel autant que collectif de la société civile. Ils servent de plateforme de visibilité, d’échange sur les bonnes pratiques et de partage des leçons apprises.
La société civile s’est distinguée par sa forte présence et son sens marqué de l’innovation et de la responsabilité lors du Forum de la société civile pour la réalisation des ODD, organisé par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), dans le cadre du 18e Sommet de la Francophonie qui vient de se tenir à Djerba. Retour sur deux success stories.
Quand l’administration se rapproche du citoyen
La complexité des procédures administratives est une spécialité typiquement tunisienne. C’est une tâche de plus en plus compliquée sur tout le territoire tunisien, mais surtout dans les régions intérieures, avec une population moins éduquée, moins aisée et confrontée aux difficultés et aux défis de la vie quotidienne. Partant de ce constat amer, Malek Boukthir, une jeune éco-entrepreneure et activiste dans la vie associative à travers Changers Tacapes (organisation des jeunes récemment créée), vient de lancer le projet « Idaretna Fi Houmtna ».
Financé par le Pnud et mis en place dans le gouvernorat de Gabès, Idaretna Fi Houmtna est un projet social et solidaire qui vise à valoriser et à améliorer la relation du citoyen avec les administrations publiques en identifiant les problèmes et trouver des solutions pratiques qui s’incarnent sur le terrain.« Idaretna Fi Houmtna cible tous les groupes qui rencontrent des difficultés dans leurs relations quotidiennes avec les administrations publiques, en particulier les personnes âgées, les analphabètes, les personnes à besoins spécifiques… Le point de départ était avec des administrations qui touchent notre quotidien (municipalité, poste, direction régionale des affaires sociales, Caisse nationale d’assurance maladie, tribunal de district) et puis cette expérience sera généralisée sur le reste des administrations », a-t-elle expliqué, dans une déclaration accordée à La Presse.
Qui sont les personnes vulnérables ?
La jeune éco-entrepreneure a ajouté que dans toutes les administrations tunisiennes, les démarches sont toujours longues, lourdes et complexes pour les citoyens et surtout pour les analphabètes, les pauvres, ceux disposant de peu de revenu, les vieux, les handicapés, les femmes divorcées …
« Aider ces catégories vulnérables, simplifier les formalités et éliminer les moins pertinentes parmi elles traduisent l’ADN de notre projet. Mais le challenge au début était comment identifier et déterminer les personnes en situations de vulnérabilité pour les prendre en compte… Traditionnellement, certains groupes sont considérés comme des participants vulnérables à l’instar des mineurs, des femmes enceintes, des détenus, des handicapés mentaux… Mais aujourd’hui, d’autres catégories peuvent s’ajouter à la liste à l’instar des personnes analphabètes ou peu instruites, lesquelles peuvent avoir du mal à comprendre les informations données. Il y a aussi les personnes aux ressources économiques limitées… », a-t-elle encore expliqué. Et d’ajouter : « Après la réussite de ces deux défis, on est passé à la signature d’une ‘’charte morale’’ avec les différentes administrations citées afin d’impliquer davantage les agents administratifs dans cette approche et être plus proche et au service du citoyen d’une façon équitable, tout en facilitant d’accès au service et à l’information. Cette mise en relation a porté ses fruits aujourd’hui et a créé une forte synergie entre l’agent administratif et le citoyen », a-t-elle affirmé, tout en précisant que dans son ensemble, ce projet vise à promouvoir un environnement propice à la contribution effective de la société civile à la réalisation des objectifs de développement durable, notamment l’ODD 16, à travers l’appui aux institutions publiques en charge des relations avec la société civile afin qu’elles puissent mieux intégrer l’action associative dans le cadre d’interventions concertées alignées aux impératifs nationaux de développement durable tant au niveau national que local…
Mettre fin à la violence à l’égard des femmes
Il est vrai que depuis 2008, la Tunisie a intégré progressivement la lutte contre la violence à l’égard des femmes dans ses priorités. Et cette priorisation s’est matérialisée à travers la promulgation de la loi organique n°2017-58 du 13 août 2017 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Cependant et malgré la mise en œuvre d’une stratégie nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes depuis 2008, le taux de ces violences reste élevé. Cela est encore vrai, surtout dans les régions intérieures. C’est face à cette situation alarmante que l’Association Karama de la famille arabe (Akfa Gabès) a vu le jour en 2014.
L’objectif derrière sa création, comme l’a précisé sa présidente Sayda Arfa, est de lutter contre toutes les formes de violences à l’encontre des femmes et des enfants –surtout psychologiques qui représentent 50% des cas signalés — et d’atteindre le principe de l’égalité des chances. Ces efforts ont, bel et bien, porté leurs fruits et la région s’est dotée du Centre Ahmini pour l’élimination de tous types de violences faites aux femmes et aux enfants.
« Notre association est aussi impliquée dans le processus de coordination entre les différentes structures qui entrent dans le processus de prise en charge des femmes et enfants victimes de violences. Plus loin que cela, au sein d’Akfa Gabès on vise à contribuer au développement durable de la famille tunisienne, établir le principe de la citoyenneté, du volontariat et de la diffusion de la culture des droits de l’homme, établir des partenariats avec les composantes de la société civile, assurer la formation, l’autonomisation et le développement des capacités des jeunes dans divers domaines », a précisé Mme Arfa dans une déclaration accordée à quotidien La Presse.
Sur ce dernier point, Mme Arfa a indiqué que son association s’est impliquée depuis 2017 dans l’économie sociale et solidaire. Et en partenariat avec Handicap International (association de solidarité internationale spécialisée dans le domaine du handicap), Akfa Gabès a lancé le projet Halaouiyat El Waha –Pâtisseries de l’oasis-.
« La femme tunisienne des zones rurales joue un rôle vital dans le maintien de la sécurité alimentaire, mais continue de souffrir de l’exploitation et de l’exclusion. C’est dans ce cadre que ce projet a été lancé pour renforcer l’entrepreneuriat féminin dans la région de Gabès sur la base d’un ensemble d’approches intégrées et complémentaires. A travers Halaouiyat El Waha, nous visons à apprendre aux femmes à exercer la profession de pâtissier et boulanger… pour les inscrire sur la plateforme Raidet. Ce programme national vise à soutenir les projets portés par des femmes dans des secteurs prometteurs et innovants, notamment celles implantées dans les régions intérieures », a-t-elle encore expliqué.
L’intégration des femmes migrantes…
Mme Arfa a, sur un autre plan, précisé que son association travaille actuellement sur un nouveau projet qui vise l’intégration des femmes migrantes avec la femme gabésienne. Le projet est baptisé Mekech fi ghorba (Tu n’es pas en expatriation) et vise à attirer les femmes syriennes et africaines.
«Il est vrai qu’au début, ça n’a pas avancé avec les femmes syriennes. Mais actuellement, cette expérience a commencé à porter ses fruits avec des femmes sub-sahariennes qui collaborent avec des femmes gabésiennes pour la création de bijoux traditionnels tunisiens, mélangés aux bijoux africains. Ce projet est sur le bon chemin et on compte le dupliquer pour faire ce mélange dans d’autres secteurs, notamment la pâtisserie et l’art entre deux cultures et deux mentalités différentes», a-t-elle souligné.